Il y a une vingtaine d’années, la peinture est venue à moi, presque par évidence. Autodidacte, j’ai d’abord exploré l’huile, fascinée par la capacité de cette matière à capter la lumière, à révéler les nuances subtiles d’un visage, d’une expression fugace. Très vite, le portrait s’est imposé comme une évidence. Capturer l’humain, dans sa fragilité et sa force, est devenu mon fil conducteur.
Mon travail à l’huile était une quête de vérité à travers la déconstruction. J’ai cherché à brouiller les lignes, à fragmenter les visages, à superposer des morceaux d’identité pour composer un être nouveau. Dans cette juxtaposition de fragments et d’imperfections, il y avait une recherche de sens : sommes-nous un « je », un « nous », une somme de visages et d’expériences ? La déformation, le flou, la reconstruction après la destruction — tout était une manière de révéler l’humanité dans ce qu’elle a de plus sincère.
Entre réalisme et surréalisme, j’ai cherché à surprendre le regard, à provoquer le questionnement. Les yeux de mes portraits sont toujours restés au cœur de mon travail. Ils sont le miroir des émotions, le lieu où se nichent la vérité et le mystère.
Puis, en 2019, un tournant inattendu. Invitée à une « Journée verte » à la médiathèque de Lecelles, je me suis mise en quête d’un matériau plus brut, plus organique. En feuilletant de vieux livres, la couleur sépia des photographies anciennes m’a frappée. Cette teinte nostalgique m’a ramenée à mes souvenirs d’enfance : l’odeur de la chicorée dans la cuisine de mes parents, le matin.
J’ai d’abord pensé au café, mais le rendu était trop doux, trop éthéré. La chicorée, elle, offrait cette intensité, cette chaleur, ce lien direct avec la mémoire. La texture était capricieuse, rebelle. J’ai dû abandonner l’huile, que je maîtrisais, pour me tourner vers l’acrylique.
J’ai expérimenté, cherché, tâtonné. La chicorée, utilisée comme pigment, se mélange à l’or pour créer un contraste saisissant — une matière vivante, imprévisible, qui révèle la profondeur du temps et de la mémoire.
Petit à petit, j’ai abandonné le pinceau pour travailler directement avec mes mains. Il fallait sentir la matière, la modeler, la laisser respirer. La chicorée impose une forme de lâcher-prise, une spontanéité qui m’a ramenée à l’essence même de la création.
Aujourd’hui, mon travail se situe à la frontière du passé et de l’avenir. Il y a dans la chicorée une mémoire ancienne, une odeur d’enfance, mais aussi une modernité dans la manière dont elle dialogue avec l’or et la matière arrachée. Je peins des portraits de femmes, souvent inspirées par leur histoire, leur force silencieuse. Certaines ont un regard nostalgique, d’autres une insolence tranquille.
Je suis une artiste instinctive. N’ayant jamais suivi de formation académique, j’ai appris en expérimentant, en osant sortir des sentiers battus. Cette liberté m’a permis de me réinventer constamment, de ne pas m’enfermer dans un style unique. J’ai toujours eu une fascination pour la lumière, inspirée par le travail de Paul Jenkins, et une affection particulière pour l’univers surréaliste de Dali.
Mon travail est une rencontre entre la mémoire et le présent, entre l’ordre et le chaos. Les visages que je peins sont des reflets de ce que nous sommes : multiples, imparfaits, beaux dans nos failles. La fragmentation est une manière de reconstruire — une tentative de réconcilier ce qui nous échappe et ce que l’on cherche à saisir.